Qu’est-ce qu’un commun ?


Avant de partir, mieux vaut savoir où l’on va !
La notion de commun a ceci de puissant qu’elle est à la fois instinctive et complexe. C’est un atout mais aussi un frein potentiel, car tout le monde ne met pas spontanément la même signification derrière le terme. Cela peut entraîner de l’incompréhension (« les acteurs privés ne peuvent pas participer au développement des communs ») ou de l’autocensure (« mon projet n’est pas entièrement gratuit, ce n’est pas un commun »).
Mieux vaut donc commencer par la définition la plus largement admise.

Un commun, c’est :
· Une ressource partagée, qui peut être naturelle (une rivière), technique (machine), immatérielle (un logiciel)…
· … gérée par une communauté, qui est liée par son intérêt envers la ressource et s’accorde sur une…
· … gouvernance fixant démocratiquement des règles collaboratives.
Une fois ces points convenus, on voit que les communs regroupent une grande variété de projets. Ils peuvent être hyperlocaux (un jardin communal si les semis sont décidés collectivement par les jardiniers associés) ou globaux (Wikipédia compte des centaines de milliers de contributeurs).

Seul impératif : les trois composantes doivent être réunies pour qu’un projet puisse être qualifié de commun.

Et les géocommuns ?
L’IGN définit les géocommuns comme « des communs numériques dont les ressources sont liées à l’information géolocalisée. ». Pour plus d’éléments sur le sujet rendez-vous sur la page du site ign.fr : https://www.ign.fr/institut/la-demarche-geocommuns

Pssst… Envie de savoir si votre projet a le potentiel de devenir un commun ? Rdv sur la page Communs, j’y vais ou pas ? . Vous y trouverez une grille d’analyse qui vous aidera à définir votre projet.

Dans le domaine numérique, le terme de communs est parfois confondu avec des notions comme l’open data et l’open source. Ces concepts se recoupent, mais ils ne sont pas forcément interchangeables.
La structure légale, financière ou technique d’un commun a moins d’importance que le triangle ressource + communauté + gouvernance.
L’open data désigne « la mise à disposition des données produites et collectées par les services publics ». Le partage de cette ressource est une première étape, mais sans communauté pour s’en emparer ou gouvernance partagée, on n’est pas (encore) sur un commun.
Un logiciel open source est « conçu pour être accessible au public : n’importe qui peut voir, modifier et distribuer le code à sa convenance. Ce type de logiciel est développé de manière collaborative et décentralisée, par une communauté, et repose sur l’examen par les pairs ». La gouvernance n’est pas nécessairement ouverte, la structure à l’origine du projet pouvant fixer seule les règles. Il s’agit avant tout d’une méthode de développement logiciel, qui peut être mobilisée pour des raisons d’efficacité par les géants du numérique comme Google ou Microsoft. Red Hat, la plateforme à destination des développeurs en open source (et dont est issue la définition donnés plus haut) a été rachetée par IBM en 2019 pour 34 milliards de dollars.

Quand au logiciel libre (free software en anglais), il se base sur des valeurs de liberté et de justice en plus des considérations techniques. Comme le dit la Free Software Foundation : « Un logiciel libre, c’est un logiciel qui respecte nos libertés. Utiliser du logiciel libre, c’est faire le choix politique et éthique d’affirmer nos droits et de partager avec les autres ce que nous apprenons. »

Vous avez peut-être remarqué que la définition des communs ne mentionne pas leur modèle économique. C’est parce qu’il n’est pas défini une fois pour toutes.

Un commun peut être :

Subventionné par la puissance publique. Tous les projets beta.gouv (qui ont différents degrés d’ouverture à la communauté) sont financés par l’État.
Soumis à un droit partiel d’utilisation. Pour respecter la logique d’ouverture des communs, l’accès au commun ne peut pas être régi par une participation financière ou soumis à autorisation. Mais il est tout à fait possible de le financer via des services complémentaires ou plus pointus. La communauté Wordpress (à noter que la gouvernance de Wordpress n’est pas complètement ouverte) propose de nombreux plug-ins payants pour personnaliser plus vite son site.
Freemium, qui fait payer les utilisateurs à partir d’un certain seuil. GitLab, une plateforme de développement open source, est gratuite jusqu’à 5 GB, ensuite il faut prendre un abonnement.
Adossé à une structure qui offre des services pour financer la ressource commune. La Wikimedia Foundation a ainsi mis en place un service d’API payant qui permet aux entreprises de puiser dans les bases de données Wikimedia de façon optimisée.
Soutenu par du mécénat d’entreprises. Celles-ci peuvent par exemple mettre à disposition des serveurs ou rémunérer des contributeurs. La Fondation Linux est un consortium financé par toutes les industries qui dépendent des outils Linux.
Financé par contributions libres. Elles peuvent être sollicitées en physique (boîte à dons à l’entrée d’évènements organisés par le collectif culturel du village), ou en numérique.

Et souvent un savant mélange de différentes sources de financement !
Le modèle économique des communs n’est pas figé, ce qui est encore une fois une force et un défi, notamment en ce qui concerne le fait de demander des subventions ou participer à des appels d’offres. Le formalisme des guichets publics n’est pas toujours adapté à la structure des communs, mais cela est en train de changer avec l’apparition d’appels à communs, à l’image de ceux portés par l’ADEME et l’IGN.

Il peut être tentant d’écarter les communs comme une récente utopie théorique. On peut au contraire dire, à la suite de l’historien Peter Linebaugh, que toute société se base sur un principe de communs, sans lequel elle ne pourrait pas exister. Les exemples abondent dès le droit romain, en passant par les communs agricoles au Moyen- ge et le système de gestion de l’eau à Oman qui aurait 16 siècles d’ancienneté.
De nombreux chercheurs ont travaillé sur le sujet, et notamment la politiste Elinor Ostrom (Prix Nobel d’économie en 2009). Ses publications réfutent la « tragédie des communs » théorisée par Garrett Hardin, qui voudrait qu’une ressource commune soit nécessairement surexploitée car personne ne la prend en charge. Ostrom avance en réponse que les communautés sont capables d’instaurer des règles d’usage garantissant la bonne administration de la ressource — et sa transmission aux générations futures.

L’intérêt pour les communs a certes connu un nouveau souffle avec l’expansion du numérique. En effet, la baisse des coûts de transaction induite par les ressources digitales et la facilité accrue de partage en font un secteur particulièrement fructueux pour le développement des communs. Sans compter la philosophie libertaire qui présidait à la naissance d’Iinternet, quand un projet de recherche (financé par le ministère américain de la Défense) a eu pour ambition de connecter le monde entier sans restrictions. Un constat à nuancer cependant, tant les entreprises de la Silicon Valley ont su reprendre à leur compte les contre-cultures et créer ce que certains considèrent comme des « enclosures » numériques, en référence au mouvement de privatisation des terres agricoles dans l’Angleterre du 16e siècle.

Envie d’approfondir le sujet ? Rendez-vous sur la page Bibliothèque pour piocher dans notre bibliothèque de ressources sur les communs. Promis, les références ne pèseront pas trop lourd dans votre sac à dos ! Vous y trouverez notamment le dossier Les communs, d’utilité publique ! édité par l’IGN à l’occasion de la journée de travail du même nom qui s’est tenue le 17 janvier 2023 au Liberté Living Lab à Paris.

Après avoir enfilé les (légères) baskets de la définition, nous sommes prêts à partir vers les communs. Enfin… Ne ferait-on pas mieux de mieux rester bien au chaud chez nous ?
Justement, la température de notre maison commune monte un peu trop. Le réchauffement climatique hypothèque son futur, tandis que les fondations de la démocratie se craquellent. Les communs peuvent être une réponse à ce double défi, désignant une troisième voie dans l’opposition « classique » entre État et Marché. La preuve en 5 trajectoires.

Implication → Citoyenneté
Les citoyens se sentent parfois éloignés de l’administration et de la puissance publique qui prend pourtant des décisions en leur nom.
La communauté est centrale au concept de communs, arrivant peut-être même avant la ressource. Une administration publique en mode communs associe nécessairement les citoyens aux sujets qui les concernent, laissant entrevoir une plus grande participation de ces derniers à la clé.

Terrain → Efficacité
Un commun n’a pas nécessairement vocation à être un gros projet mobilisant des millions d’utilisateurs (ou d’euros). Une boîte à livre installée sur la place du village avec le soutien de la mairie peut-être un commun à condition que les habitants soient associés à son enrichissement et sa gestion.
En étant au plus proche des besoins des utilisateurs, et en les intégrant à la gouvernance du projet, on court moins le risque d’être hors-sol ou d’opérer en silo avec des projets en doublon, garantissant un meilleur usage des fonds publics. Cela écarte aussi la critique de naïveté parfois faite aux commoneurs. Loin d’observer le monde depuis leur tour d’ivoire, ceux-ci ont les mains dans le cambouis et défendent souvent une logique Do it Yourself (fais-le toi-même).

Usage → Propriété
Une démarche de communs n’implique pas une absence de propriété, mais un renouvellement de ses modalités. Le commun n’appartient pas à personne, il appartient à tout le monde — tout comme le service public qui doit bénéficier à tous les citoyens, sans distinction ni discrimination.

Mutualisation → Frugalité
Make or buy (faire ou acheter) : telle est la question que se posent de nombreuses structures pour faire face à leurs besoins. Pour «faire», il faut disposer de compétences en interne, et être prêt à prendre le temps nécessaire. «Acheter» n’est pas nécessairement moins coûteux, et l’on perd ensuite le contrôle sur le produit.
Les communs proposent une nouvelle option : make together (faire ensemble). En mutualisant les ressources, on évite potentiellement le gaspillage et les doublons. Avec à terme non seulement des économies mais aussi des résultats qui satisfont toutes les parties.
Cela pose aussi la question des moyens mis à disposition par l’État pour soutenir les communs. Il ne faut pas que ces derniers deviennent une façon de se désengager ou exclusivement de limiter les dépenses, mais bien une manière de continuer à offrir plus de service public — sous une autre forme — aux citoyens.

Partage → Souveraineté
L’oligopole exercé par la Big Tech sur les logiciels pose un problème de souveraineté numérique. L’objectif des communs n’est pas nécessairement de créer un concurrent direct à Google, mais plutôt de soutenir l’émergence d’initiatives connectées entre elles qui permettent de partager la connaissance.
Bien sûr, ces chemins sont des horizons, pas des promesses. Il faut une véritable volonté de la part des acteurs publics et un engagement sur la durée afin de faire advenir une société des communs, qui les place au cœur de l’action publique et pas en sa périphérie.


Ce contenu est sous licence CC BY-SA 4.0 (Attribution - Partage dans les Mêmes Conditions 4.0 International). Il a été élaboré par Jaime Arredondo, Romain Barrallon, Anthony Cara et Renée Zachariou du collectif Ouishare, en collaboration avec Frédéric Cantat, Gaëlle Romeyer et Nicolas Berthelot de l’IGN.